aliquote.org

Sagan ici et là

December 11, 2019

C’est Gainsbourg, il me semble, qui déclarait qu’à son âge on ne lisait plus, on relisait. Je n’ai pas encore l’âge qu’il avait lorsqu’il disait cela, mais je me souviens que, plus jeune, je trouvais ça étrange que l’on puisse renoncer à découvrir de nouveaux auteurs et se refermer dans le passé de nos lectures. Maintenant, je suis sans doute en âge de mieux comprendre le sens de ces mots, ou du moins j’en viens à suivre la même trajectoire, et par là à relire des livres que j’ai lus il y a fort longtemps, ou parfois quelques années seulement.

En ce moment, je relis Françoise Sagan. J’ai même terminé de relire tous les ouvrages dont je dispose dans ma bibliothèque — en partie héritée de ma mère et de mes grands-parents — en réalité. Rien à voir avec le dernier roman posthume publié récemment d’ailleurs. Je l’ai lu, lui aussi, ainsi que celui de son fils, Denis Westhoff, mais je préfère me concentrer sur les romans et pièces de théâtre que j’ai lus il y a plus d’une vingtaine d’années, car au fond, tout y est, pêle-mêle, depuis Bonjour Tristesse, ou Toxique, jusqu’au Miroir égaré.

D’abord, il y a Éluard, préfigurant le titre du huitième roman de Sagan, mais dont on retrouve des traces, ici et là, au hasard des pages, voire même du premier ouvrage qui fit scandale à l’époque (Bonjour tristesse… à relire entre les lignes du plafond) :

Inconnue, elle était ma forme préférée,
Celle qui m’enlevait le souci d’être un homme,
Et je la vois et je la perds et je subis
Ma douleur, comme un peu de soleil dans l’eau froide.

Mais, il y a tous ces autres auteurs, que Françoise Sagan appréciait par-dessus tout, et notamment Rimbaud, dont on retrouve quelques vers des Illuminations dans un des chapitres de Avec mon meilleur souvenir :

J’ai embrassé l’aube d’été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.

Et puis, il y a ces petits trésors, que j’ai notés à plusieurs reprises dans des carnets lignés que je traîne depuis tant d’années, mémorisés dans un coin de ma tête sans jamais me rappeler d’où était tirés ces mots, et puis en relisant, au hasard Le garde du coeur, tout redevient visible :

Le ciel a des plages où éluder la vie présente et il est des corps qui ne doivent reparaître à l’aurore. — García Lorca

J’ai finalement retrouvé le texte traduit en anglais (p. 190), et c’est tout aussi poignant :

Heaven has shores for our flights out of life and the corpse need need not make itself over at dawn.

Et puis, il y a Cocteau, dans Avec mon meilleur souvenir :

la folle mer qui brise au bord ses coupes.

Je partage un grand nombre de ces références, que j’ai augmenté d’auteurs plus contemporains et divergents. Mais j’aime l’écriture de Sagan, ce style non pas inimitable mais qui accompagne si bien les scènes de vie de tous les jours où baignent des personnages effrayants de solitude et à la recherche d’amours sans limite. Ceci étant, lire Sagan c’est me replonger dans tout un univers parallèle d’autres lectures, que j’associe de près ou de loin, directement ou indirectement, à ces romans et pièces de théâtre que je lisais au sortir de l’adolescence. C’est revoir l’armoire à livres de mon enfance et les bibliothèques qui se sont succédées dans les différents appartements que j’ai occupés.

See Also

» RCS 15 years later » Tranches de vie : des frigos » La vie en rond... » Quantifier la vie humaine » Glaneurs de rêves